A
chaque début dannée, je présente un sujet
ubuesque. Cest le premier carré de la page et dès
lors, je sais pertinemment que cest le plus fréquenté.
Cela me permet de mettre en avant un sujet totalement décalé
et du coup, de perdre un nombre maximum de visiteurs. On ne peut
rêver mieux. Si en 2016 je métais éclaté
à collecter les messages des barbouzes sur les ondes courtes
(projet LN17CM), en 2017 javais compacté les émissions
sonores électromagnétiques des objets de la vie courante
(projet les chants magnétiques), en 2018 javais démystifié
lépineuse question des bois bosniaques (projet les
bois bosniaques), cette année 2019 voit naître un projet
superfétatoire et croupissant : les parkings souterrains.
En réalité, le tout premier projet de la sorte date
déjà de 2005. Cétait une exposition photo
fade et hivernale sappelant « Jaurais pu vivre
heureux ».
Ainsi,
cette page est un projet artistique de création sonore
sur les parkings souterrains : le sentiment de vide et de malaise
que lon y ressent. Pourquoi y vit-on linquiétude,
la solitude, lanxiété ? Cette création
interroge directement lespace.
Cette
composition débute par Antony and the Johnsons, Hope There's
Someone. Dans un parking passait cette musique. Mais comment est-ce
possible, c'est à ce point incongru ? Le projet débute
sur la version studio puis glisse imperceptiblement sur la version
parking. Sans s'en rendre compte, au fil des hululements maussades
du malade Anonhi, on plonge graduellement dans les espaces de
stationnement, morose espace au visage livide.
Il
a fallu un temps colossal afin de réaliser ce projet. En
effet la question posée ne permet pas de se contenter,
au terme du field recording, dune description impartiale.
Il sy trouve une prise de position. De ce fait le projet
a conduit à se promener dans une quantité non négligeable
de parkings et en chaque lieu, ériger en force cette interrogation
: pourquoi suis-je solitaire et indisposé ici, de cette
situation qui pourtant habituellement ne dérange pas ?
Tous
les parkings nont pas apporté la même réponse
: entre ceux qui sont totalement vides, ceux qui sont surmenés,
ceux qui sont moches et sans intérêt ; par contre
tous ont été visités le soir assez tard,
généralement des dimanche, assez régulièrement
par temps de pluie, voire même en période hivernale.
La démarche a voulu concentrer comme une huile essentielle
le sombre et le cafardeux.
Cest
donc sans détour que je peux dores et déjà
dire que la recherche sest étagée sur une
quarantaine de lieux, entre octobre 2017 et novembre 2018. Plus
précisément, je me suis attaché aux parkings
non commerciaux.
Comment
dire ? Un parking de supermarché un samedi après-midi
apportera toujours une réponse de samedi après-midi
bondé. Par contre un parking souterrain en ville la nuit
- la pluie - apportera sans ambage la notion de mal-être
inhérent à un lieu sombre et glauque ; va-t-il débarquer
dans un court instant un junkie ?
Et
pourquoi traiter le mal-être ? Dans la société
de consommation axée sur la construction incessante du
bonheur (acheter, c'est du bonheur), en quoi peut-il être
positif de s'attarder - tout de même longuement - à
une sombre histoire de malheur dans un parking sur-glauque dont
les éclairages défectueux sont pris de toiles d'araignées
bien dégueulasses ? Bien en quelque sorte, voilà,
c'est ce que ce travail pose comme question.
En
outre, lexploration urbaine dans son sens le plus pur vise
à provoquer une incursion dans un milieu et den retranscrire
un contenu artistique ; ce qui depuis la monétisation tend
à sétioler voire même purement et simplement
à disparaître (cest déplorable) ; limpulsion
est donnée, parking terrain de jeux et pas des moindres
: la plupart des endroits en soirée de novembre dégueulasse,
je nai rien à y faire, pas le bienvenue, les lieux
sont souvent privés, fermés, inaccessibles : exploration.
Je suis entré en bien des sites où ma présence
nétait pas justifiée si, bien sûr,
à mes yeux celle dune démarche artistique
engagée, mais honnêtement comment expliquer ça
à Monsieur Quidam ? Vous êtes cinglé Sieur
Tchorski. Oui probablement + oui visiblement.
La
démarche a été particulièrement immersive,
dans le sens où pour appartenir au parking, je suis resté
parfois plusieurs heures sur place, là immobile : en fonte
avec le béton, en mélange avec la solitude, en brassage
avec l'atmosphère glauque. Ce fut une relation intérieure
avec le parking assez singulière. A un moment l'ambiance
devient familière, l'extérieur s'éteint,
le lieu devient distinctif et prend sa vie propre, sa caractéristique
de béton moche et insipide au rythme bien à lui
: monstre souterrain au ventre vide et froid. Ce fut une curieuse
expérience de vie, pas forcément inutile, et je
crois bien que cette création sonore en témoigne
; le point de vue n'est pas neutre et reprend en fin de compte
un des aspects de tous ces multiples témoignant que la
société urbaine progresse vers un difficilement
vivable. Ça en devient poignant. Bonne écoute.